Guerre en RDC : Zones occupées, des troubles psychologiques qui tuent plus que les balles
Dans presque toutes les zones ayant connu la guerre en cours, les traumatismes se manifestent à vive allure. Les spécialistes en santé mentale et soutien psychosocial affirment que d’autres risques similaires demeurent prévisibles. Selon les constats et les témoignages, ces chocs seraient observés dans plusieurs entités de la province du Nord-Kivu et dans celles du Sud-Kivu à l’Est de la République Démocratique du Congo.

Cette urgence démontre combien les affres causées par la guerre qui oppose le mouvement antigouvernemental du M23/AFC aux Forces Armées de la RDC sont innombrables.
Selon les statistiques du ministère congolais de la Santé publique, au moins 20 millions de Congolais souffrent de problèmes de santé mentale. Ce qui est déplorable, est qu’en 2023 ce ministère avait affirmé que la couverture sanitaire des personnes en débilité mentale reste encore faible, à peine 5%.
Avec toutes les atrocités que la guerre inflige à des milliers des personnes dans la partie Est du pays, il y aurait risque d’une flambée.
Des témoignages poignants
‘’Quatre corps étaient allongés ici sur la route pendant une semaine. Tous ceux qui passaient les regardaient et manifestaient un choc. Moi-même je continue à faire des insomnies depuis que j’ai vu des corps traversés des balles partout. D’ailleurs j’ai totalement perdu l’appétit de la viande’’, témoigne un habitant de la ville de Goma.
La ville de Goma est tombée sous le contrôle des éléments du M23 dans les après-midis du mardi 28 Janvier 2025, après deux jours d’affrontement avec les FARDC aidées par les Wazalendo. Après leur entrée à Goma, les acteurs de la société civile ont affirmé qu’il y avait eu une opération de ratissage dans plusieurs quartiers de la ville. Les corps des militaires FARDC et civiles étaient visibles sur plusieurs artères de la ville pendant quelques jours.
Dans la ville de Bukavu et ses alentours, la même pratique s’est observée. Les corps sans vie des victimes allongées et visibles partout sur le lieu public. Tel est le cas de Nyantende où plus de dix corps sans vie venaient de faire quatre jours au bord de la route après l’affrontement entre les Wazalendo et les M23. La situation s’est observée à plusieurs reprises dans plusieurs quartiers et avenues où les passagers, y compris les enfants, contemplaient ces corps à chaque passage.
La justice populaire est devenue très fréquente à cause de l’insécurité grandissante. D’autres personnes sont à tout moment surpris par des images choquantes et partagées sur les réseaux sociaux.
‘’Jai vu les chiens en train de manger le corps sans vie abandonnés sur la route près de l’Institut de Bagira. Ça m’a fortement affecté et j’ai regretté d’être passé par là. Je me sens mal à tout moment quand je me rappelle de cet événement tragique’’, témoigne Amini Namagadju, habitant de la ville de Bukavu.
Trouble psychique, Quid ?
Le trouble psychiatrique est un état de santé qui se manifeste par un changement tout en affectant la pensée, l’humeur ou le comportement d’une personne, ce qui perturbe son fonctionnement et peut entraîner une tristesse.
Selon un psychologue clinicien contacté par http://DEBOUTRDC.NET, les troubles psychiques surviennent par des facteurs psychologiques, génétiques, physiques ou environnementaux. Selon cet expert, les événements tels que la guerre, les difficultés économiques (comme le cas actuel), les inondations, les incendies, les accidents et bien d’autres, sont parfois à l’origine de troubles psychologiques.
‘’Avec tout ce que la guerre est en train de causer, nous sommes tous exposés depuis les petits enfants jusqu’aux adultes’’, révèle un expert.
Les troubles psychologiques se développent lentement lorsque la personne commence à avoir les souvenirs vifs de l’évènement qui s’imposent (flashbacks). La personne commence à revoir la scène avec les images, les bruits ou les odeurs (la reviviscence), les cauchemars, toute chose pouvant rappeler l’évènement et la personne est submergée par les émotions.
Ce qui risque d’occasionner un grand nombre des personnes atteintes, étant donné que les gens assistent à tout moment aux assassinats, kidnapping des proches sans plus revenir, les viols, des coups balles chaque jour, la crise financière, l’abandon des cadavres sur les lieux publics, la peur constante pour ne citer que cela.
‘’Lorsqu’on rencontre l’événement traumatique, nos réactions immédiates sont tout à fait normales, la plupart de fois ces réactions sont de courte durée ; par contre, ces troubles vont s’installer dans la durée et de manière plus ou moins grave. Pour certains, ils peuvent être même très sévères. On va parler alors des traumatismes chroniques. Et donc lorsque les symptômes durent plus d’un mois, on parle d’état de stress post traumatique’’, précise Olivier Mufungizi, psychologue clinicien.
Les troubles psychiques pendant et après la guerre à l’Est de la RDC
‘’Ceux qui auront suivi un traitement du traumatisme dans un délai idéal auront une garantie de leur santé mentale. Par contre, si après une période certaines personnes ne sont pas prises en charge et qu’elles ont développé les symptômes des traumatismes, leur chance sera que leur santé mentale soit toujours garantie est minime’’, fait savoir Olivier.
Actuellement dans les villes de Goma, Bukavu et dans d’autres zones occupées par les éléments du M23/AFC, le changement brusque du mode de vie ne semble pas passer sans avoir des conséquences graves. Les conditions infligées par la guerre commencent à occasionner de plus en plus une grande détresse, les idées suicidaires, les troubles du sommeil, la perturbation des activités professionnelles, les abus, la perturbation de l’équilibre familial, l’équilibre économique, scolaire et sanitaire. Certains paraîtraient sans traumatisme, quand la majorité manifeste déjà les signes des traumatismes.
‘’C’est devenu un problème dans mon couple. Moi et ma femme nous avons des difficultés de passer à l’acte conjugal. Ça fait trois semaines que je souhaite, j’essaie mais je n’y arrive toujours pas. Les stress de la vie et les chocs sont énormes avec cette guerre. Nous sommes tous malades. Imaginez-vous ce niveau où on est affecté jusqu’au lit conjugal’’, témoigne un habitant de la ville de Bukavu qui a requis l’anonymat.
La Psychologie clinique, un domaine oublié en RDC ?
Sous d’autres cieux, les psychologues sont très considérés et leur métier est très honorable. Pourtant, ils sont formés dans les universités congolaises, plus d’une personne peut se demander exactement à quoi servirait cette formation. Certains pensent de même que c’est une affaire des blancs. Plusieurs congolais ne consultent pas un psychologue, car ils estiment que ce dernier n’a rien à leurs offrir, d’autres encore pensent que leurs problèmes sont normaux, mais aussi beaucoup ne savent pas exactement quand, et pour quel problème il faut consulter un psychologue.
‘’Les psychologues ne sont pas valorisés dans notre pays, par exemple en cas de la guerre, d’éruption volcanique, des viols, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les prisons, pendant les épidémies, le gouvernement devrait mobiliser tous les psychologues pour s’occuper de la population’’, rappelle le psychologue Olivier Mufungizi.
Ce qui fait que les psychologues congolais devraient se réunir pour porter très haut leurs voix pour que la population sache ce que fait réellement un psychologue.
Pourtant, des conséquences sont toujours évidentes, lorsqu’un pays ignore certaines spécialisations. Sur une dizaine des psychologues congolais contactés à Goma et à Bukavu, ils affirment tous l’abandon de ce domaine par le gouvernement Congolais. Tandis que les soins psychologiques devraient et doivent intégrer dans les soins de santé primaire. Les conséquences risquent d’être énormes car les malades ayant besoin de soins psychologiques dans les hôpitaux et dans d’autres lieux publics peinent à retrouver facilement leur santé émotionnelle, physique ou leur bien être en général. Le pire, c’est dans le contexte de guerre où la majorité ne savent plus à quel saint se vouer.
‘’Il est difficile qu’une personne trouve exactement son bien être aussi longtemps que toutes les conditions de vie ne sont pas réunies’’, affirme Olivier.
Selon certaines sources, il y aurait des avancées dans ce sens car aujourd’hui il y a eu déjà un dépôt à l’Assemblée nationale de la RDC d’une proposition de loi portant création de l’ordre national des psychologues congolais. Les professionnels de ce domaine gardent l’espoir que ce dernier va trouver sa place dans les prochaines jours à travers ce processus en cours.
Le plus grand constant est qu’aussi longtemps les atrocités continuent dans la région, les personnes touchées continuent à souffrir gravement avec ces troubles psychologiques.
Qu’est faire ?
Cette menace qui risque de n’épargner personne, mérite plus de vigilance et de mesures préventives si cela est possible. Au vu du contexte, peut-être qu’il serait mieux de ne pas céder à la panique et garder le sang-froid. L’expert Olivier Mufungizi propose une technique simple.
‘’En cas de confrontation à un événement potentiellement traumatique, c’est mieux de respirer profondément pendant au moins 2 min, si les signes de détresses psychologiques perdurent pendant plus de deux jours, il faut vite consulter un professionnel ou parler de ses ressentis à une personne proche et rester en contact’’, Conseille t-il.
Éventuellement, il faudrait également que les gens évitent des fausses croyances, éviter de propager des fausses informations pour prévenir des paniques. Éviter aussi de prendre les images des personnes décédées et ou les images qui font peur.
Bien s’habituer au contexte actuel à l’Est de la RDC serait d’éviter tout comportement suspect pouvant susciter des interrogations ou des soupçons de la part de l’entourage.
‘’Lors des prochaines assistances après l’ouverture du couloir humanitaire, je demande que les organisations tant nationales et internationales tiennent compte du soutien psychologique au profit de la population du Nord et Sud-Kivu. Il y a vraiment à faire’’, plaide-t-il en suite.
Olivier Mufungizi est un psychologue clinicien congolais vivant dans la ville de Bukavu, il est spécialiste en santé mentale et soutien psychosocial, il s’occupe du traitement psychologique du traumatisme et soutient les victimes des violences sexuelles. Il est chercheur sur les réparations psychologiques. Il est également responsable du cabinet psychologique dénommé ‘’la solution c’est moi-même’’ SEM en sigle. Il a travaillé pendant plusieurs années dans les organisations nationales et internationales tant au niveau national qu’à l’international.
Amisi Musada Emérite
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