Sud-Kivu: Des humains, comme moi, à la Prison centrale d’Uvira
Le redressement du pays dépend de chacun de nous. M. John Kangonge, diacre à la paroisse de Mulongwe, en centre-ville d’Uvira, en est un exemple. Depuis des années, il est l’ami des prisonniers de la Prison centrale. Nous lui avons posé des questions.
Combien de prisonniers héberge la Prison centrale d’Uvira ?
La prison d’Uvira a une faible capacité d’accueil par rapport à l’effectif actuel des prisonniers. Il y a quelques années, ils pouvaient arriver au maximum à 80. Puis ils sont devenus 500, 800… jusqu’à 1200 dans ces jours. Maintenant ils commencent à diminuer.
Le premier problème de la prison est donc la surpopulation. Beaucoup de dossiers trainent, mal gérés, nombreux sont en attente de jugement. Certains prisonniers sont là depuis deux, trois ans, sans jamais avoir été entendus en justice. Certains sont arrêtés pour des infractions qui ne sont pas telles : à cause de l’ivresse et du non-paiement d’une bouteille de bière, certains sont acheminés à la prison centrale, alors qu’elle serait destinée aux personnes considérées dangereuses.
Qu’est-ce que cela que signifie du point de vue du logement ?
Les prisonneirs dorment très mal. Dans une cellule de sept m2, comment peuvent dormir quatre-vingt personnes ? Ils sont entassés, quatre ou cinq dans un lit. Ils entrent dans les cellules à 16 h00 et en sortent à 7h00 du lendemain. Les maladies de la peau se répandent.
Manger, c’est un défi. Il y a eu des périodes où ils ont passé trois mois sans recevoir de la nourriture de la part de l’Etat, en vivant seulement du peu de nourriture amené par les visiteurs. En plus, des directeurs de mauvaise foi s’emparaient d’une partie de la nourriture envoyée par l’Etat. Récemment, le Gouvernement a commencé à donner la nourriture régulièrement.
Les membres de famille pour amener de la nourriture à leurs frères doivent donner de l’argent à la porte. Ceux qui n’ont pas de visites, reçoivent quelque peu de nourriture de leurs compagnons. Quand la nourriture fait défaut, nous en apportons selon nos possibilités. Même des communautés chrétiennes de base et des familles amènent de temps en temps de la nourriture pour tous les prisonniers et leur donnent un message de réconfort : la souffrance ne signifie pas que le Seigneur nous abandonne.
Et du point de vue des soins ?
Les médecins chargés de la prison se plaignent de n’avoir pas assez de médicaments et de ne pas être payés. Le CICR (Comité International de la Croix Rouge) aide avec quelques médicaments et de la bouillie pour les malnutris. Pour les diabétiques, nous demandons des médicaments au Centre Diabétique Saint Paul. Il y a toutefois des cas non soignés.
Que font-ils, les prisonniers, pendant la journée ?
Rien. Une fois, nous leur avions amené un ballon et ils jouaient un peu au foot. Il y a quelques années, la sœur Delia avait promu l’alphabétisation : cela aidait les marginalisés à s’intégrer. Il serait souhaitable que la Commission Justice et Paix et Intégrité de la Création s’intéresse à la prison… Des filles entrent à la prison pour se prostituer avec les prisonniers. Dans une chambrette, louée à 2.000 Francs (environ 1 USD), les prisonniers peuvent entrer avec leur amie, à tour de rôle… Cela peut causer de multiples maladies, à eux et à ces filles.
Dans le temps, des prisonniers étaient frappés, avaient au pied des chaines en fer qui leur causaient parfois de blessures…
Cela a pris fin, sauf si quelqu’un a cherché à s’évader. Maintenant, la maltraitance ce sont les rançons à payer. A son arrivée, le prisonnier doit payer au chef des prisonniers le « droit de prison », qui est arrivé à 80.000 FC (environ 32 USD), c’est comme s’il entrait dans un autre pays, sous un autre gouvernement. Faute de cela, on le fera souffrir : il devra nettoyer les toilettes à mains nues.
Y a-t-il quelqu’un qui suit les dossiers des prisonniers ?
Les dossiers arrivent dans les mains des magistrats. Parmi eux et parmi les avocats, certains rançonnent les prisonniers en demandant de l’argent, comme condition pour leur libération ; une fois eu l’argent, parfois ils ne les libèrent même pas. Des prisonniers peuvent être arrêtés même cinq fois en un an et je me demande comment cela est possible. Ce qui manque, c’est la pensée que l’autre est un homme comme moi, que moi aussi je peux un jour me trouver dans sa situation. S’il y avait l’amour du prochain, la compassion pour les gens qui souffrent, la prison ne serait pas surpeuplée.
Malgré tous ces défis, à la Messe du dimanche à la prison, on voit la joie, les chants, les danses…
La parole de Dieu leur donne courage. Dans la prison, il y a une communauté de base « Paulo mfungwa » (Paul prisonnier), qui prépare la Messe du dimanche à la chapelle de la prison, garde l’ordre, fait la répétition des chants et des séances de catéchèse. Chaque dimanche, un Abbé vient célébrer la Messe. Des Pasteurs protestants y viennent aussi donner la Parole de Dieu. La foi aide les prisonniers à accepter les difficultés de la vie en gardant espoir.
Pourquoi et comment avez-vous commencé cet apostolat ?
J’ai compris que les prisonniers ne sont pas des sous-hommes, ce sont des hommes comme moi. Ce n’est pas pour le fait qu’ils sont en prison qu’ils sont plus malfaiteurs que nous. J’ai senti dans mon cœur le désir de répondre à leur besoin, de même que quelqu’un peut répondre à mes difficultés.
En me voyant aller à la prison, des personnes me disaient : « Comment, tu vas contribuer à la méchanceté des prisonniers ? ». Je répondais : « Non ! Qu’est-ce qui te dit que tu n’es pas mauvais ? Tu peux aller emprunter de l’argent chez quelqu’un et ne pas réussir à le rendre au temps convenu. Chez nous, au Congo, tu entres alors en prison : est-ce que tu l’as voulu ? En prison il y a des innocents et des coupables : il faut les accueillir tous, ce sont des humains ! ». L’affection des prisonniers me donne le courage d’aimer.
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