RDC : Boycotter les produits rwandais et après ?
Depuis le début de l’année 2022, la République Démocratique du Congo fait face à une nouvelle agression des terroristes du M23 soutenus par le Rwanda. Chaque jour, des voix s’élèvent pour appeler au boycott des produits rwandais. Pour les tenants de cette thèse, consommer les produits rwandais « c’est financer les terroristes du M23 ».
La ville de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu dans l’Est de la RD Congo, est voisine de la ville rwandaise de Kamembe. Vers le Nord, la ville de Goma respire le même air avec sa voisine Ginsenyi, une autre ville au Nord-Ouest du pays de mille collines. A Bukavu, c’est chaque jour que des centaines –voire des milliers– de congolais traversent la rivière Ruzizi. De l’autre côté, entre Goma et Gisenyi il n’y a juste qu’un pas. Pas de frontière naturelle. Depuis la nuit des temps, des activités commerciales se font entre les deux peuples voisins. A Bukavu comme à Goma, des congolais traversent pour acheter légumes, céréales, farines, lait, jus, poulets, œufs, viandes, ustensiles,… au Rwanda. Les raisons sont multiples et la dépendance est indéniable.
Boycotter les produits Rwandais
« Cette campagne vaut la peine. Celui qui achète un produit made in Rwanda finance le M23 qui tue nos frères. Partageons largement”,
écrit le célèbre défenseur des droits de l’Homme Jean-Claude Katende sur son compte Twitter.
Cette campagne vaut la peine. Celui qui achète un produit made in Rwanda finance le M23 qui tue nos frères. Partageons largement pic.twitter.com/AOiuEZgJQu
— Jean Claude Katende (@JeanClaudekat2) January 21, 2023
Kantende réagissait ainsi à une vidéo d’une certaine Syvle, rwandaise habitant au Canada. Selon elle, le président Kagame emploie environ 80% des Rwandais. « Les rwandais ne se soulèvent pas par ce qu’ils sont employés par le président Kagame. Si on boycotte les produits made in Rwanda, on va affaiblir l’économie rwandaise », fait-elle savoir dans une vidéo devenue virale.
Des produits rwandais omniprésents pourtant
Dans les grandes agglomérations voisines du Rwanda, les produits Rwandais sont étalés dans plusieurs marchés. Des femmes petites commerçantes font traverser des denrées de première nécessité pour les habitants de Bukavu et de Goma. A Bukavu par exemple, des rwandais tiennent eux-mêmes des dépôts de farine de maïs, vendent ustensiles de cuisines, provendes pour animaux, etc. Ici, plusieurs congolais viennent s’approvisionner et le climat n’est rien d’autre que celui d’affaires. Visiblement, le quartier Nyalukemba dans sa partie communément appelée Nguba, en RDC, est le prolongement du district rwandais de la Ruzizi. Les langues des deux pays s’y parlent.
Dans la profondeur d’autres quartiers et communes, les habitants curieux de la ville de Bukavu observent la présence massive des filles et femmes rwandaises. Les unes portent différentes marques de lotion en main et sur la tête, les autres des bidons de lait de toute marque. Visibles par tout, elles sont même aperçues au marché central de Kadutu, le plus grand marché de la province. Un mouvement impossible pour les congolaises au Rwanda.
Boycotter pour manger quoi ?
Cette campagne est diversement aperçue par les congolais. Pour certains, c’est une bonne idée tandis que pour d’autres, cette décision serait suicidaire pour les habitants des grandes villes de l’Est de la RDC.
« Si le Rwanda et l’Ouganda ferment leurs frontières et bloquent leurs produits comment les provinces orientales du pays vont-elle survivre ? Le Congo n’est pas Kinshasa »,
interpelle Claude Kanyunyi en réaction au message de Jean Claude Katende.
Malgré la guerre, des petits commerçants congolais traversent le Rwanda pour s’approvisionner en produit des premières nécessités.
« La guerre n’empêche pas le commerce. Les citoyens mangent et vivent chaque jour. Ils produisent, importent, exportent, font des bénéfices et ils s’en foutent de la guerre », réagit Dominique Mpundu.
« Celui qui te nourrit te contrôle »
Face à cette dépendance de la RDC aux produits Rwandais, l’alternative est loin d’être trouvée. Des analystes conseillent au gouvernement congolais d’apprendre de cette guerre pour industrialiser le pays.
« C’est le moment de lancer l’industrialisation de notre pays pour commencer à produire des biens que nous achetons chez les voisins. Lancer la campagne de boycott des produits du Rwanda sans une solution de rechange c’est la folie pure et simple », craint Agur Kayembe.
Des produits qui pourrissent dans les territoires
« Donnez-nous seulement les routes et la sécurité et nous ne vous demanderons plus rien »,
S’est adressée une paysanne de Bunyakiri, dans le territoire de Kalehe, aux autorités gouvernementales de la RDC.
Malgré le potentiel agricole de la RDC qui détient plus de 80% des terres arables et qui peut nourrir à elle seule une grande partie de l’Afrique, son peuple vit dans une carance alimentaire sans précèdent.
Dans la province orientale du Sud-Kivu, la dépendance est au rendez-vous. La ville de Bukavu ainsi que les 8 territoires qui composent la province font tous recours aux produits rwandais. D’ailleurs, les territoires, fertiles soient-ils, ne sont pas liés à la ville vu l’absence des d’infrastructures routières.
Kalehe, un territoire à vocation agricole est coupé du reste de la province. Le pont Luzira a été emporté par les eaux de pluie et attend que Kinshasa envoie des fonds pour sa réhabilitation. Le scenario est le même à l’endroit dit « chez les Français » vers Nyabibwe. Les hauts plateaux de Kalehe produisent du lait, de la pomme de terre, des haricots mais vu le mauvais état des routes, cette production n’atteint pas la ville pour sa consommation.
Shabunda et Mwenga traversent le même calvaire. Ces deux territoires ne sont pas connectés à la ville de Bukavu. D’ailleurs, la route nationale qui mène vers Mwenga a été coupée par l’érosion au début de janvier 2023. Il est impraticable actuellement.
Walungu et Kabare, deux territoires voisins de Bakavu, sont accessibles mais leurs terres ont vieillie et leur capacité de production ne peut pas satisfaire la demande croissance de la ville de Bukavu. Les accès dans leurs profondeurs causent également problème.
Uvira et Fizi ne sont pas épargnés. La route Kamanyola-Uvira construite par le feu Marechal Mobutu est dans un état de dégradation très avancé. Des ponts s’effondrent, le macadam disparait et les eaux de pluie s’imposent chaque jour.
Isolé sur le lac Kivu, le territoire insulaire d’Idjwi demeure dans les oubliettes malgré sa vocation agricole et l’opportunité de navigation qu’offrent les eaux douces du lac.
Pendant ce temps, le prix des produits de première nécessité ne font que prendre de l’ascenseur.
Une insécurité sécurisée
« Malheur ne vient jamais seul », dit-on. Au fléau d’absence d’infrastructures routières s’ajoute une insécurité sans précédent. Viols et massacres systématiques marquent les villages. Les paysans ne se rendent plus aux champs comme à l’ère Zaïre. Les investisseurs ne se manifestent plus. Tout laisse à croire qu’il s’agit de l’application d’une formule bien pensée qui combine les deux facteurs pour bien assouvir la soif économique de ceux qui sèment ce désordre.
Au-delà du rôle important que joue le Rwanda dans l’alimentation de cette insécurité, plusieurs langues parlent aussi des certaines autorités congolaises qui en profitent. Certaines vont jusqu’à être actionnaires dans des entreprises rwandaises qui fournissent des biens en RDC et qui étouffent les initiatives locales. D’autres, révèlent plusieurs rapports, sont des sponsors des groupes armés.
La ville d’Uvira est à 125 Km de distance de sa voisine de Bukavu, dans la même province mais pour l’atteindre, les Sud-Kivutiens sont obligés de transiter par deux pays voisins dont le Rwanda et le Burundi.
« Comment vous vous sentez lorsqu’il faut passer par le Rwanda, pays du criminel Kagame, pour atteindre Uvira ? »
s’indigne un militant prodémocratie de la ville de Bukavu auprès des fils et filles du Sud-Kivu qui jouissent du pouvoir décisionnel dans la sphère politique nationale.
Lire aussi: SUD-KIVU : Par terre, la province crie à ses notables qui l’enterrent
La nationale N°5 qui lie les deux villes est non seulement délabrée mais aussi elle est l’une des routes les plus insécurisées du pays. Ici, les coupeurs de route viennent aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur du pays.
L’insécurité dans les territoires voisins des grandes villes de l’Est serait alors perçue comme une stratégie de promouvoir la mobilité ascendante (Village-Ville). Ce qui va surpeupler les villes et ainsi augmenter les bouches à nourrir et, par conséquent, créer une dépendance envers le Rwanda et d’autres pays de la sous-région en termes de nourriture.
Gouverner c’est prévoir
Décider de boycotter les produits rwandais serait une auto flagellation dans la situation actuelle où l’insécurité bat son plein dans des villages et la ville de Goma est en train d’être coupée de ses territoires « greniers » et stratégiques.
C’est là même que l’action du gouvernement congolais est tant attendue pour mettre en œuvre des politiques garantissant la sécurité alimentaire pour ses populations. Il ne serait pas étonnant que le Rwanda décide, comme en juin 2004 lors de l’agression de la RDC par les rebelles « rwandais » Laurent Nkundabatware et Jules Mutebusi, de fermer ses frontières. Le coup peut peser dur sur son économie mais diplomatiquement, la RDC en sortirait perdante vu l’inaccessibilité des territoires où les productions pourrissent à cause de l’insécurité et de l’absence des infrastructures routières. Ce qui ferait une double pression sur Kinshasa.
Bien accompagné, le commerce transfrontalier constitue un moyen important de lutter contre la pauvreté, l’insécurité alimentaire, les conflits et d’autres vulnérabilités socio-économiques dont souffrent les populations locales.
Hormis les tensions politiquement nourries, les citoyens de ces deux pays, voisins naturels, vivent en paix. Les affaires se font entre congolais et rwandais dans un climat de confiance.
Des projets intégrateurs et des initiatives des jeunes engagés pour la paix et la cohabitation pacifique dans la région des grands lacs africains sont en train d’avoir lieu. Si le conflit n’est attisé que par les autorités politiques, l’espoir d’une paix durable semée par les nouvelles générations est permis et le commerce transfrontalier en est un des pilliers fondamentaux.
Rédaction
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