Mbobero : Le cœur nous fait mal, mais nous résistons
« Nous les mamans de Mbobero, nous luttons pour nous enfants »
Début juillet 2023, à Bukavu, dans le bureau de la Nouvelle Dynamique de la Société Civile (NDSCI) qui accompagne la population victime de Mbobero, nous avons rencontré les représentants du Comité des victimes d’expropriation des terres: Joseph Zahinda, Président, Matthieu Baguma Kameme, porte-parole et Shindano, conseiller, ainsi que les mamans leaders : Josiane Nankafu, Joséphine Nabami M’Babunga et Faida Balagizi Noëlla. Nous leur avons posé des questions.
Interview avec Mme Josiane Nankafu, responsable des mamans expropriées.
Quelle est la situation actuelle des mamans victimes d’expropriation et de démolitions à Mbobero ?
Nos champs nous aidaient beaucoup : le matin, nous cueillions les feuilles de manioc et de haricots, les patates douces et nous les amenions au marché de Muhanzi, aux portes de la ville de Bukavu. Ainsi, nous achetions farine et huile, nous pourvoyions aux nécessités de la famille et nous étions heureux. Maintenant nous sommes dispersés, sans aucune stabilité.
Depuis sept ans, Mme Olive Lembe et son mari Joseph Kabila, ont ravi nos champs et détruit nos maisons : depuis lors, la vie pour nous reste très difficile, nous continuons à souffrir beaucoup. Comme des fuyards, nous habitons dans la maisonnette qui sert de cuisine à une autre famille, nous partageons une petite chambre avec notre mari et sept enfants, parmi lesquels il y a des filles et des garçons déjà grands… Nous continuons à demander que notre terre nous soit rendue, que chaque personne se retrouve chez elle.
Même si on ne le voit pas, mais nous avons des blessures au cœur ; l’estomac nous fait mal à cause des soucis. En tant que représentante des mamans, toute personne qui a des problèmes vient vers moi.
« Maman Josiane, que dois-je faire ? »
Hier une maman de trois jumeaux est venue me dire :
« Dans la maison en ruine où je m’étais réfugiée, un chien pouvait venir me mordre. Pourtant, hier on m’a jetée dehors, avec le peu de choses que j’avais ».
J’ai manqué une réponse, moi qui n’ai pas où l’héberger ; je lui ai dit : « Maman, supporte de rester dehors. Si par la pitié de quelqu’un tu trouves une bâche, tu chercheras où t’abriter ».
Maintenant ses choses sont à l’extérieur et elle pleure, elle est devenue comme folle de chagrin.
Si en ces derniers temps les difficultés ont un peu diminué, c’est grâce à l’aide de microfinance que nous avons reçue et qui nous permet d’acheter du sombe (feuilles de manioc), des bananes ou des avocats pour les revendre : si on parvient à gagner 2.000 FC (moins d’un dollar) par jour, les enfants pourront manger.
Mais le problème que nous avons rencontré dans ce pays, ce sont les policiers qu’on appelle « Ebola ». Manquant de place au marché, nous disposons nos légumes sur le trottoir : la voiture de ces policiers arrive et nous ravit tout. Comment allons-nous vivre ? La police, connaissant notre situation, pourrait nous délivrer un petit document qui nous permette de chercher à faire vivre nos enfants : mais, au contraire, elle nous ravit tout !
Quel est votre souci majeur ?
Ce qui nous fait surtout souffrir c’est de ne pas parvenir à faire étudier nos enfants au niveau du Secondaire ! Certains devraient entrer en sixième cette année : où trouverons-nous l’argent requis ? Et pourtant ils sont intelligents ! Hier une maman est venue me dire :
« Je suis dépassée par les difficultés. Je manque les 25$ qui sont demandés pour le stage de mon enfant qui est en cinquième ».
Je n’ai pas su répondre. Moi-même j’ai deux enfants qui devraient entrer en sixième. Manquant de moyens, nous serons obligés de leur dire de rester à la maison, bien que nous souhaitions qu’ils étudient, afin qu’un jour, si jamais nous mourons sans réussir notre combat, ils soient à mesure de le continuer. Nous souhaiterions que quelques-uns parmi eux étudient le Droit ; qu’il y ait des soldats, car si un jour l’un de nos enfants devenait Commandant de la 33e Région Militaire ou Gouverneur de Province, il pourrait mener à bonne fin ce combat.
Une autre souffrance que nous connaissons est le manque de médicaments. Souvent nos enfants tombent malades, à cause aussi du froid de la nuit, de jeunes mamans accouchent, mais nous ne pouvons pas aller à l’hôpital, ni au dispensaire, par manque d’argent. Nous les soignons avec des feuilles et, Dieu aidant, ils s’en sortent. Si nous avions un lot de médicaments essentiel, nous pourrions ouvrir une pharmacie de secours et un poste de santé, grâce aux infirmiers qui sont parmi nous sans travail.
Quand vous passez à côté de l’enclos qui renferme vos champs, qu’est-ce que vous ressentez ?
Cet enclos c’est une croix pour nous, une épreuve : nous la portons, mais ça nous fait beaucoup mal au cœur. Nous nous demandons : qu’est-ce qu’il voulait quand il a démoli nos maisons et ravi nos champs, alors qu’il n’y exerce aucune activité ?
Parfois mon enfant de 11 ans, à la fin des cours, oublie notre abri et rentre là où nous étions, en disant : « Je rentre chez moi ! »
En voyant les ruines, il sursaute, parfois il s’évanouit. Son petit frère de 4e le cherche, le trouve, le secoue :
« David, David, qu’est-ce qui se passe ? ». « Je croyais d’aller chez nous ! ». Le petit frère le prend par la main et le ramène là où nous sommes. David me dit : « Maman, si je peux étudier je le ferai pour pouvoir lutter pour que nous rentrions chez nous ».
Un jour, il a vu, affichée quelque part, la photo de ceux qui nous ont détruit la maison ; il l’a enlevée et a commencé à la frapper du bâton. « Pourquoi ? », lui ai-je demandé.
« Pour trois raisons : premièrement, on m’a dit que c’est ce papa qui a causé à ce que nous n’ayons pas de maison ; deuxièmement, je ne reconnais plus le chemin que j’empruntais pour aller à l’école ; troisièmement, je n’ai plus d’amis et on se moque de moi à l’école en disant : celui-ci n’a pas de maison ».
Dans ces sept ans, avez-vous vu des signes de solidarité de la part des autorités ?
Nous n’avons vu aucun signe de la part des autorités : ils ne sont même pas venus nous voir. L’ancien Gouverneur et notre « Mwami » étaient là seulement le jour où on a détruit nos maisons. Peut-être craignent-ils celui qui a donné l’ordre de démolition. Seulement des hommes et femmes de bonne volonté au début, et des amies et amis lointains en collaborations avec la NDSCI nous ont secourus, sans oublier les habitants de Mbobero qui n’ont pas subi de démolitions : ils nous ont accueillis dans leurs maisons ou parcelles bien que déjà petites pour eux. Nous ne savons pas si nous vivrons…
Pensez-vous que ce qui s’est passé est la volonté de Dieu ?
Non ! Cela ne vient pas de Dieu, mais d’êtres humains qui n’ont pas un cœur d’amour, de compassion. S’ils l’avaient, ils pourraient dire : « Ce sont aussi des parents comme nous : ne les faisons pas souffrir ».
Il était Président de la République et il n’y a rien que cette République ne lui ait donné, mais il est venu ravir les maisons des personnes vulnérables que nous sommes. Alors que c’est lui qui pouvait nous aider, c’est lui qui accroît notre souffrance.
Est-ce que toute la population de Mbobero partage votre détermination à continuer la lutte ?
La plupart de nous résistent par amour de leurs enfants. D’autres, femmes et hommes, sont morts, à cause du chagrin, n’ayant pas pu supporter la lourdeur des difficultés dans lesquelles nous nous trouvons, comme des fuyards. Une personne dort chez elle et le matin on trouve qu’elle est déjà morte. Un papa, Fidèle, en pensant qu’il avait bâti chez lui, qu’il avait des champs, qu’il y vivait bien avec sa famille, s’est senti dépassé et est devenu fou.
Avez-vous encore un mot à dire aux Autorités ?
Nous sommes fatigués de leur parler. Nous avons fait des marches, sans aucune réaction. Arrivés au Gouvernorat, on nous dit : « Rentrez, nous viendrons, nous verrons ». Et on ne les voit pas.
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