Sud-Kivu : Mbobero, le rêve et le combat continuent
Ce village de dix-mille habitants aux portes de Bukavu, le chef-lieu de la province du Sud-Kivu, dans l’Est de la République Démocratique du Congo, n’aurait jamais pensé de devenir un jour célèbre dans le monde, et – vu les raisons de cette célébrité – aurait préféré rester dans sa paisible et simple vie qui ne fait pas nouvelle.
Un jour toutefois ils avaient pensé d’avoir rencontré une chance : ils ont entendu dire que le Président de la République, Mr. Joseph Kabila, avait acheté un terrain chez un certain Mr. Mihigo, dans leur même concession. Ils en étaient contents : avoir un tel voisin, c’était un honneur et peut-être on aurait eu l’électricité, une bonne route…
Mais ce voisinage est devenu un cauchemar. La terre acquise par les commissionnaires du Président s’est élargie à tache d’huile, englobant des terrains, des maisons qui avaient leurs légitimes propriétaire. Les paysans ont assisté à la croissance comme d’un arbre malsain, croissance qui n’avait pas de fondement légal.
C’est ainsi que le 30 janvier 2016 ont commencé les premières démolitions des maisons. Avec la force de l’armée et l’appui des puissants locaux, 47 maisons ont été rasées et des familles chassées. Un hôpital moderne spécialisé en neurologie, une rareté dans la région, a été rasé au sol : une opération a été interrompue sans pitié, des malades ont fui en catastrophe. Le calvaire de Mbobero ne faisait que commencer.
Inutiles les manifestations, les marches, les mémorandums. Personne parmi les grands n’osait aller contre une si puissante autorité, convaincu par ses intermédiaires que tout le terrain lui revenait. Comme par une voracité persistante le terrain du Président ne faisait que s’accroitre, jusqu’à ce que du 8 au 10 février 2018 s’est abattue sur Mbobero la deuxième vague de démolitions.
Malgré l’effort des jeunes du Mbobero qui ont barricadé la route, les militaires sont arrivés avec leurs camionnettes comme s’ils allaient à la guerre et ont commencé à démolir. Que pouvaient les pères de famille armés de leur machette de travail ? Ce qu’ils n’ont pas pu emporter immédiatement est devenu la proie de ces militaires : tout ce qu’on pouvait arracher à ces maisons ils l’ont pris. En dernier lieu ils ont vendu même les pierres de fondations. Des personnes suppliaient qu’on garde au moins intacte la maison qu’ils avaient construite avec peine mais l’ordre était de démolir. Au moins 227 maisons ont été démolies et près de 2.500 personnes se sont retrouvées sans abri.
Encore une fois les familles ont trouvé refuge dans les maisons du village qui avaient survécu. Une grande compassion et solidarité s’est déployée à leurs égards. Gratuitement, ils ont été accueillis, qui dans la petite cuisine à l’extérieur, qui dans une salle, ou dans une chambre. Souvent la maman d’un côté, le père de l’autre, les enfants de l’autre. Et d’ailleurs, comment vivre ensemble père, mère et sept, huit enfants, parfois de grands garçons et filles, dans une même chambre ? Même le mariage n’avait plus de place dans la vie des survivants.
Traumatisés, les enfants traînaient à rentrer de l’école, car ils allaient pleurer là où surgissait leur maison. Enfin, plusieurs ont abandonné l’école faute de moyens. Car au Congo, malgré les promesses du nouveau Président, l’école primaire en grande partie se paie encore. Des femmes ont dépéri à cause des soucis, l’une est morte à l’improviste. Des hommes, humiliés, sont tombés dans les boissons fortement alcoolisées, abimant leur santé, et dans une dépression qui les a privés de toute énergie. Certains sont partis loin creuser les minerais.
Entre-temps, Mbobero était gardé par la Garde républicaine et la police, comme un territoire occupé. Logés dans de misérables taudis, ils ont profité des champs que la population avait cultivés et commis des abus sexuels contre des filles et des femmes, des enfants sont nés qui ne connaîtront jamais leur père, muté on ne sait pas où. Des gardes ont assassiné Cédrick qui ne voulait pas leur céder son téléphone et aussi Ramses, dans des circonstances semblables. Patrick aussi a été tué, en décembre 2020, mais cette fois-ci il y a eu jugement : le militaire a été condamné, ainsi que l’Etat congolais et on a déclaré illégitime la présence des militaires à Mbobero. Ainsi, seule la Police est restée.
Entre-temps, le terrain s’était étendu jusqu’à toucher le village de Mbiza et le marais de Murhundu, qui signifiait la vie et les études pour tant d’enfants du milieu. Le grillage métallique que la famille Kabila avait placée autour du terrain occupé a été remplacé par une haute muraille.
A l’intérieur de cet enclos, la population a eu l’humiliation de voir se développer la « Ferme espoir », dont les produits étaient propagandés pour leurs bons prix. A chaque saison de semailles, les femmes désœuvrées tombaient dans une tristesse accrue, en voyant la misère de leur famille, les enfants affaiblis et maladifs, sans école, une famille sans futur.
Dans cet enclos, une cinquantaine de maisons restaient debout, habitées, sans que leurs habitants puissent utiliser les terrains à l’alentour. Elles dérangeaient les nouveaux propriétaires, qui voulaient avoir main libre sur tout le terrain. La nouvelle du projet de leur démolition en avril 2018 avait soulevé la réaction de tant de personnes même en ville si bien qu’on n’en fit rien. Ensuite, avec des sommes d’argent certaines familles de l’enclos avaient été convaincues à quitter, mais treize résistaient.
Dans tout ce parcours, la population a dû faire des choix. Des jeunes auraient voulu prendre les armes, mais les adultes les en découragèrent. Certains pensaient qu’il n’y avait rien à faire, selon ce que des autorités de la ville leur disaient : « Que voulez-vous faire, molécules, contre un tel grand ? ». D’autres petit à petit ont trouvé des arrangements pour s’en sortir seuls. La plupart de la population est restée unie et a commencé sa lutte non violente. Un Comité des victimes est le groupe leader qui cherche à garder l’unité de la population et à aller de l’avant dans la revendication de ses droits.
Le Comité et la population victime a été soutenus dans ce combat par l’Association « Nouvelle dynamique de la Société Civile » (NDSCI), de Bukavu, en commençant par la personne du président, Jean-Chrysostome Kijana. Au moment où tous craignaient de se déclarer du côté de cette population, la NDSCI a pris la décision de l’accompagner et le fait jusqu’à présent.
Un avocat, Marcellin Sinzoga, se donne gratuitement pour leur cause. Car, après quatre ans de recherches de dialogue, de manifestations, de mémorandums, sortis sans effet, la population de Mbobero a décidé de porter plainte contre Joseph Kabila et sa famille pour démolition de maisons, appropriation de terres et tant d’autres dégâts causés par la présence militaire sur terrain.
Le 24 juin 2020, la plainte a été déposée localement et dans la capitale. C’était avec conviction mais aussi le regret de devoir citer en jugement celui qui était considéré le Père de la Nation. La porte reste ouverte à une sortie honorable. Pas comme celle proposée par la famille Kabila en avril 2019 : remettre aux anciens propriétaires 8 ha et 8.000. Des miettes face à 2500 personnes sans maison ni champs, et face aux graves abus subis.
En novembre 2020, Mme Olive Lembe, épouse de Mr. Kabila, a rencontré le Comité et accepté de procéder à une remesuration du terrain. Quand les preuves de la raison des habitants de Mbobero devenaient évidentes, le processus a été interrompu, et a continué par des contre-plaintes, auxquelles le Comité a aussi réagi par de nouvelles plaintes, si bien qu’actuellement il y en a sept en cours. Vu la faiblesse des institutions congolaises, difficilement la population trouvera satisfaction auprès de la justice du pays. Mais c’est le passage nécessaire pour accéder à d’autres instances internationales.
Entre temps, l’autre partie ne ménage pas les moyens. Le 27 octobre 2021, une task force de policiers et d’énergumènes de la ville ont attaqué les familles restées dans l’enclos, tabassé violemment les hommes et chassé tous dehors, sans qu’ils puissent amener aucun effet. Tout a été pillé par ces assaillants. Aucune réaction de la part des autorités : aux victimes n’est resté que de se faire soigner et de recourir à la solidarité de l’entourage.
Le chemin est long. C’est pourquoi la NDSCI avec le Comité viennent de lancer la campagne « Tujitegemee » : un petit micro-crédit pour les femmes victimes, pour qu’elles puissent faire un petit commerce et contribuer en même temps pour que d’autres aussi puissent dans l’avenir recevoir.
L’unité et la solidarité est le secret de cette population qui lutte mains nues contre les puissants. Et la ressource profonde est leur foi. Quelle que soit leur appartenance religieuse, ils sont convaincus que Dieu reste le Dieu de l’Exode, le secours de opprimés, et ils savent voir dans leur pénible parcours les signes de sa présence qui les rassure. Oui, un parcours pénible, mais aussi fier. Ils sont une semence d’espoir pour le Congo tout entier.
La chanson de Mbobero
Témoignages
Le 15 mai 2022, la population victime de Mbobero s’est réunie en Assemblée, pour connaitre les nouvelles de son combat et commencer la campagne « Tujitegemee » (Prenons-nous en charge). Voici quelques extraits des témoignages donnés ce jour-là.
Madame Bahati Mwa Kadarabi, épouse de Mr. Karubandika, qui habitait dans l’enclos
Vraiment j’ai beaucoup souffert. En particulier, le 27 octobre 2021, ils sont arrivés chez nous à 6h30 du matin, ils nous ont chassés de nos maisons et frappés comme des animaux. Ils ont tout emporté de la maison, même les tôles : les casseroles, les assiettes, les habits, je les ai reçus de personnes compatissantes. C’était un jour de grande tristesse. Certains nous insultaient : « Vous avez insisté à rester, aujourd’hui vous sortez par le bâton ». Merci au Comité et à Jean-Chrysostome Kijana, qui nous donnent courage, à papa Alphonse qui nous a accueillis chez lui. Je remercie le Seigneur en voyant que nous sommes encore vivants. J’avais un enfant d’une semaine, je me demandais comment il pourrait vivre dans un abri froid, sous une bâche… J’ai dit au Seigneur : « Seigneur, fais grandir mon enfant comme tu fais grandir l’enfant d’un fou ». Je le remercie : cet enfant a déjà six mois et demi et grandit comme les autres. Je vous dis : vivez en fous comme Karubandika et sa famille, parce qu’aujourd’hui c’est ainsi qu’on nous considère…
Madame Chantal Mwa Birauli
Je suis une victime du 10 février 2018. A cette date-là on nous a séparés : le papa de son côté, la maman de son côté, les enfants de leur côté, nos grands-parents dispersés. Quelle douleur ! Pas moyen de voir comment va votre enfant, comment va votre mari… Des personnes généreuses nous ont accueillis dans leur salle, on a tendu un pagne qu’on avait reçu, nous respirions seulement.
Ce jour-là, j’étais enceinte de sept mois et j’ai mis au monde là-même. Pendant trois jours j’ai perdu connaissance à cause de la tension. Cet enfant est encore vivant. Ils avaient prescrit un transfert à l’hôpital général, j’ai refusé à cause de l’émotion. Je remercie ceux qui m’ont donné courage.
Jusqu’à présent, nous, les mamans, nous restons dans cette vie de mépris. Par manque de place, j’ai été obligée d’envoyer ailleurs les enfants ainés, je cherche à garder avec moi les quatre plus petits… Mon mari vient le matin, quand les enfants sont dispersés. Nos enfants commencent à aller vendre l’eau dans des sachets au port. On le revoit après deux jours : « Pourquoi devrais-je rester ici ? Vous n’avez pas où dormir ! Je préfère rester avec mes amis de la rue, nous dormons couverts de sacs ». Mais renforçons nos esprits. Ne nous trahissons pas pour une bouteille de bière ! J’ai confiance en Dieu que, même après vingt ans de larmes, je retrouverai chez moi.
Joseph Zahinda, Président du Comité des Victimes
Nous sommes à un rendez-vous de l’histoire : depuis 2016, les souffrances sont nombreuses et aujourd’hui ce sont six ans. C’est pour cela que nous ne pouvons pas ne pas nous féliciter nous-mêmes et louer le Seigneur qui nous a permis d’être ici aujourd’hui. Vivons l’unité, respectons-nous et aimons-nous. Cela permettra à notre espoir d’atteindre son but. Merci au Seigneur qui nous a gardés : nous avons combattu contre Goliath et ce n’était pas facile. Continuez, soyez forts, ne vous découragez-pas et votre Dieu se souciera de vous.
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