Nord-Kivu: La population craint son exclusion à la prochaine table Ronde sur la sécurité dans son entité (point de vue)
La ville de Goma, sous bouclage pour la maximisation des recettes publiques, est sous le choc après l’assassinat par un tir à bout portant d’un jeune homme de 24 ans plus connu sous son surnom de AMANI.
« Un élément de la Police nationale congolaise (PNC) engagé dans les opérations de bouclage des véhicules a tiré, à bout portant, mardi 11 octobre, sur un conducteur de véhicule. Le fait a eu lieu à l’endroit communément appelé rond-point des Rasta, sur avenue La Frontière, quartier Katindo, dans la ville de Goma (Nord-Kivu). Selon les témoins, tout est parti d’une dispute entre le chauffeur, Amisi Kabemba Cristiano, et le policier qui voulait, à tout prix, contrôler les documents du véhicule. »[1]
Des morts dû à des accidents de circulation
Le comble c’est que, lors de son enterrement, Goma déplore une dizaine de morts suite à un accident dû à des défaillances techniques de l’un des véhicules qui conduisaient les gens au cimetière après le franchissement des barrages routiers érigés par la police pour s’assurer du port des documents certifiant le bon état du véhicule.
Cette bavure tragique, passée sous silence par le gouvernement, tombe sur la ville en même temps que le rappel de la possible organisation d’une table ronde sur la situation sécuritaire à l’Est de la RD Congo en novembre 2022. Le journaliste Raymond Okeseleke poste sur internet :
« Le Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo avait déjà dirigé le 4 mai à Kinshasa une réunion d’évaluation de l’état de siège, instauré depuis le 6 mai 2021, dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. A cette occasion, il avait annoncé ‘’la tenue prochaine d’une table ronde pour décider de l’avenir de ce régime exceptionnel’’. »[2]
Ces 15 jours renouvelables selon la volonté des dirigeants
RDC : constatant les faibles résultats de l’état de siège, le sénateur Frédérick Mwamfwa appelle à déclarer la guerre contre le Rwandahttps://t.co/wwTtuN5GGR pic.twitter.com/MVGM3sh3kO
— ACTUALITE.CD (@actualitecd) October 18, 2022
Lorsque le discours officiel y revient aujourd’hui, c’est pour parler d’une rencontre pour la requalification de l’état de siège. Est-ce ce que veut le peuple qui n’avait pas été consulté pour décréter l’instauration de ce ‘’régime exceptionnel’’ de quinze jours renouvelables mais qui vient de dépasser une année ? Va-t-on nous dire que l’année est renouvelable elle aussi ?
L’instauration de l’état de siège était la réponse du gouvernement à la persistance de l’insécurité dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Or, pendant que les autorités de l’état de siège passaient leur temps à poursuivre les manifestants, à arrêter les députés qui osaient émettre la moindre critique, à créer et faire payer des taxes incontrôlées[3] et à construire par-ci par-là 1m50 de monument, les agresseurs achetaient des armes, recrutaient des troupes, cherchaient les officiels civils et militaires[4] à corrompre pour finalement occuper solidement Bunagana.
L’insécurité migrante
Ceux qui parlent de l’état de siège comme étant une mauvaise réponse à un vrai problème expliquent cet l’échec par la non pertinence de la solution par rapport aux causes du problème. « L’insécurité migrante a pour cause la recherche de quatre choses : 1. La terre 2. L’identité 3. Les ressources minières 4. Le pouvoir », martèle Placide Kambere Nzilambe, Secrétaire Technique de la Société Civile du Nord-Kivu au micro de la Radio Pole FM de Goma.
Une table ronde sans la population peut accoucher d’une souris
Si c’est à cela que la table ronde cherchera des réponses, alors elle réussira, à condition cependant d’écouter la population pour
« avoir une bonne cartographie des participants issus des forces sociales et politiques à associer aux membres de la Commission ‘’Défense et Sécurité’’ de l’Assemblée Nationale pour éviter de se retrouver avec les ‘’chanteurs politiques habituels’’ ainsi que les ‘’pseudo experts préfabriqués’’ qui parlent au nom d’une population paysanne qui sait pourtant dire de quoi elle souffre », comme l’explique Suzanne Kisuki, militante du Mouvement citoyen Véranda Mutsanga interrogée par un chercheur de l’ONG Action pour la Paix et la Concorde, APC.
Accorder la nationalité ne suffit pas pour une paix durable
En RDC, il faut avoir à l’esprit que les leçons de l’Histoire interpellent tous les acteurs sur le sérieux à consacrer au traitement de la question sécuritaire. A l’époque du Zaïre, Mobutu Sese Seko, Président de 1965 à 1997, croyait sécuriser durablement son pays en cédant sur l’identité. Le 26 mars 1971,
« le Président Mobutu signa un texte [ayant un article unique] dans lequel il était dit que « Les personnes originaires du Ruanda-Urundi établies au Congo à la date du 30 juin 1960 sont réputées avoir acquis la nationalité congolaise à la date susdite » »[5]. Il venait ainsi de conférer de manière automatique et collective la nationalité zaïroise aux populations rwandophones installées dans le Kivu. En décembre 1996, « évoquant la rébellion au Kivu, il a dénoncé ‘’les ennemis du Zaïre qui avaient choisi le moment où il était terrassé par la maladie pour le poignarder dans le dos’’ »[6], peut-on lire dans un article paru dans le journal Le Monde. Accorder la nationalité n’avait donc pas résolu le problème. Il fallait trouver autre chose.
Des ennemis qui se métamorphosent
CE JOUR-LA… 25 fév 2002, lancement, à Sun City (Afrique du Sud), du Dialogue Intercongolais, avec 361 délégués venus de la RDC et de partout au monde. Ce Dialogue changea à jamais le paysage politique de la RDC, avec l’arrivée de nouveaux acteurs jusque-là méconnus (rebelles). pic.twitter.com/pMu1P4ZVfv
— Benjamin Babunga Watuna (@benbabunga) February 24, 2022
L’un de ses successeurs, Joseph Kabila, Président de Janvier 2001 à Janvier 2019, cède à son tour sur le pouvoir en acceptant un régime unique en son genre désigné par la formule 1+4 où le pouvoir collégial au sommet de l’Etat est exercé par quatre personnes. Et comme il s’est avéré que cela ne suffisait pas, il lui a fallu accepter de céder l’armée par des opérations dites de brassage et mixage qui accordaient grades et commandements militaires à des rebelles dont l’identité et la formation ne devaient pas être vérifiées ni remises en cause. Et pourtant, ceux qui voulaient contrôler tout et non une partie du pouvoir n’ont pas désarmé. Ils reprennent la recette de la rébellion et c’est le CNDP[7] puis le M23 dont on reparle encore aujourd’hui avec l’occupation d’une partie du territoire congolais à partir de ‘’quelque part’’.
Insécurité, une épée de Damoclès aux épaules de Felix Tshikedi
A son tour, Felix Antoine Tshisekedi, Président depuis 2019, une fois au pouvoir, hérite de cette épine sous son pied. Il pense trouver la panacée en cédant les ressources minières. Certains pensent que le conflit en RDC trouve ses origines dans le génocide des Tutsi au Rwanda de 1994 ainsi que les événements liés au Burundi, qui virent des centaines de milliers de personnes d’origine ethnique Hutu fuir ces deux pays pour l’est du Zaïre.
Situation sécuritaire à l’est de la RDC : Le président tshisekedi à échangé avec les caucus des élus du Nord-Kivu et de l’Ituri ,le mercredi 13 octobre 2022 à la cité de l’Union africaine ,au sujet l’État de siège dans les deux provinces touché par l’insécurité . pic.twitter.com/TVmUgSOHud
— Onur Ilunga (@OnurIlunga) October 13, 2022
En fait, les causes du conflit sont vieilles comme le monde. Ils sont exacerbés par des émotions et des sentiments humains comme la peur, l’appât du gain, la haine et l’ambition, alliés à des intérêts politiques, économiques, ethniques, nationalistes et autres enjeux religieux. Jouer sur un seul de ces facteurs ne peut en aucun cas résoudre le problème.
Des rebelles contrôlent des grands gisements des minerais
RDC🛑🛑: Plusieurs millions de dollars et des minerais s’évaporent à la douane de Bunagana . Sous occupation des terroristes M23 et RDF 🇷🇼. pic.twitter.com/UNhYfA54ro
— SERGE KAMBA (@kamba82) July 10, 2022
Et Tshisekedi est en train de le comprendre après avoir réalisé que l’Est de son pays était une région mal gouvernée mais riche en minerais comme l’or, le coltan, le tantale ou les diamants.
« L’arc qui s’étend de Bunagana, à la frontière ougandaise, à Goma, à la frontière rwandaise, en passant par Kanyabayonga, couvre une ceinture minière lucrative contenant certains des plus grands gisements de coltan du monde, ce minerais utilisé dans presque tous les appareils électroniques. Les factions rebelles soutenues par l’Ouganda et le Rwanda – y compris le M23 – contrôlent des chaines d’approvisionnement stratégiques mais informelles partant des mines des Kivus vers les deux pays. Les insurgés utilisent les recettes du trafic d’or, de diamants et de coltan pour acheter des armes, recruter et contrôler des mineurs artisanaux et payer des fonctionnaires corrompus des douanes et des frontières congolaises ainsi que des soldats et des policiers. Ces opérations illicites sont également marquées par une grande violence, car les différentes factions rebelles se battent souvent entre elles pour le contrôle des mines et des voies de transport. »[8]
Voilà pourquoi, en 2021, « la République démocratique du Congo et son voisin le Rwanda ont conclu, trois accords commerciaux à l’issue d’un tête-à-tête entre les Présidents des deux pays à Goma, en terre congolaise, et ce, plus d’un mois après l’éruption du volcan Nyiragongo qui a eu des répercussions au Rwanda.
Le premier accord conclu porte sur la promotion et la protection des investissements entre les deux pays ; le second a pour objet une convention entre les deux pays en vue d’éviter la double imposition et prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu, selon le communiqué final publié à l’issue du tête-à-tête entre les deux dirigeants, retransmis en direct par les télévisions publiques des deux pays. Le troisième protocole d’accord concerne l’exploitation de l’or et implique la société congolaise aurifère (SAKIMA SA) ainsi que la société rwandaise DITHER LTD. »[9]
A peine une année après,
« Les autorités de la République démocratique du Congo (RDC) ont décidé de suspendre tous les accords conclus avec le Rwanda qu’elles accusent de soutenir les rebelles du M23 dans l’Est. »[10]
Pour une paix durable, il faut la combinaison de 4 ingrédients
Des quatre enjeux majeurs de la sécurité en RDC, l’identité, traitée en homme seul par Mobutu, le pouvoir, sur lequel Kabila Fils s’est épuisé, les ressources minières qui donnent des migraines à Tshisekedi, il reste à parler de la terre. La RDC est dans un processus de réforme foncière. Si ce processus ne prend pas en compte les trois autres enjeux majeurs, il est fort probable qu’il n’aboutisse jamais à contribuer efficacement à la stabilisation du pays.
Halte aux solutions cosmétiques
Il est encore temps que le gouvernement congolais montre qu’il abandonne les solutions ‘’cosmétiques’’ prises à la va-vite comme l’état de siège qui fait goûter les militaires aux délices du pouvoir tout en les éloignant du métier des armes. Le temps consacré à l’analyse des causes profondes n’est pas du temps perdu.
Résoudre un problème c’est s’attaquer aux causes. Sur le plan stratégique, les négociations relancées à Nairobi entre le gouvernement congolais et toutes les rébellions actives sur le territoire congolais et la Table Ronde prévue en Novembre 2022 à Kinshasa doivent être conçus et exécutés comme des réponses politiques, tout comme la réforme foncière et du secteur de sécurité, en vue de disposer du contrôle de la terre, du pouvoir, de l’identité et des ressources naturelles pour défendre la souveraineté de la RDC.
C’est pour cela que l’implication du peuple, en tant que Souverain Primaire, est un impératif de la durabilité des solutions affichées. En effet, sur tous les aspects, une consultation populaire s’impose pour impliquer le peuple à tous les niveaux du processus supposé aboutir à des solutions durables. Après tout, Table Ronde ou pas ou quelle que soit la solution adoptée, comme le conclue Mr le Secrétaire Technique de la Société Civile, « l’expert de la souffrance c’est celui qui souffre. »
Goma, 14 Octobre 2022
Par Prosper Hamuli Birali/Bâtisseur de Paix en Afrique
Sources:
[1] Nord-Kivu : tension à Goma après la mort d’un chauffeur tué par un policier lors d’une opération de bouclage des véhicules | Actualite.cd Consulté à 9h55
[2] Digitalcongo.net | Nord-Kivu et Ituri : une requalification de l’état de siège envisagée lors d’une table ronde en novembre Consulté le 14/10/2022 à 9h48
[3] Le Parlement provincial, qui a la charge de contrôler l’action du gouvernement provincial, est suspendu.
[4] Dans un entretien accordé à France 24 et RFI, Felix Tshisekedi, Président de la RDC déclare : « L’arrestation du général Yav est arrivée pendant que j’étais en séjour ici à l’étranger. J’ai cru comprendre qu’il était accusé par certains ses collègues de les avoir contactés au nom du Rwanda pour qu’il puisse lever les pieds et permettre au M23 de passer aisément et de prendre la ville de Goma ». RDC : le général Philémon Yav accusé de vouloir faciliter au M23 la prise de Goma | Radio Okapi Consulté le 17.10.2022 à 6h5’
[5] [Histoire] 26 mars 1971 : Mobutu accorde la nationalité congolaise aux populations du Ruanda-Urundi (grandslacsnews.com) Consulté le 16.10.2022 à 1h36
[6] M. Mobutu promet de ne pas « décevoir » les Zaïrois (lemonde.fr) Consulté le 16.10.2022 à 1h31
[7] Le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) est l’administration rebelle établie par Laurent Nkunda dans la région du Kivu en 2008.
[8] Le Rwanda et la RDC risquent la guerre avec l’émergence de la nouvelle rébellion du M23 : Une explication – Democratic Republic of the Congo | ReliefWeb Consulté le 16.10.2022 à 2h17
[9] RDC – Rwanda: Tshisekedi et Kagame signent trois accords commerciaux (aa.com.tr) Consulté le 16.10.2022 à 2h35
[10] La RDC gèle tous les accords avec le Rwanda (aa.com.tr) Consulté le 16.10.2022 à 2h48
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