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Politique

RDC : La loi Noël Tshiani, une proposition inconstitutionnelle et inadaptée (Prof Cifende)

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La proposition de loi de l’économiste congolais Noël Tshiani déposé au Bureau de l’Assemblée Nationale fait polémique. Cette proposition de loi réserve les fonctions  de Président de la République et bien d’autres hautes fonctions aux seuls compatriotes nés de père et de mère congolais. Cette loi est assurément discriminatoire et, de toute évidence, menace l’unité et la cohésion nationales. Nous nous proposons de montrer qu’elle est aussi inconstitutionnelle et inadapté au contexte sociopolitique de notre pays.

L’inconstitutionnalité de la loi Tshiani

Aucun congolais ne peut, en matière d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet de discrimination en raison notamment de son origine familiale (père ou mère). Tous les congolais (de père ou de mère ou pas) sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois.  Tout congolais (sans discrimination) a droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit indirectement à l’intermédiaire des représentants librement choisis.

Ce sont là des préceptes constitutionnels que la loi Tshiani entend ébranler. Or ils figurent aux nombre des droits et libertés des citoyens verrouillés par l’article 220 al 2  de la constitution de la RDC.

Bref, la proposition de loi sous examen ne peut prospérer ; elle sera inévitablement déclarée irrecevable et si, par impossible, elle est adoptée, elle ne pourra guère franchir l’épreuve du contrôle de constitutionnalité.  On ne devrait pas perdre le précieux temps des élus à débatte des propositions manifestement inconstitutionnelles…

Aux termes de l’article 12 de la Constitution « Tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ».

Et l’article  13 surenchérit :

« Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique ».

Et le PIDCP ainsi que la Charte africaine ratifiés par la RDC disposent que tout citoyen a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays soit directement soit indirectement à l’intermédiaire des représentants librement choisis.

On le voit, les principes d’égalité de tous les congolais  et de non-discrimination sont  inscrits  en lettres d’or dans la constitution congolaise  qui entendait par ces dispositions remédier aux effets néfastes des politiques discriminatoires et xénophobes du passé.

Les discriminations liées notamment à la question de nationalité ont été, dans un passé récent, l’occasion ou le prétexte des conflits identitaires, d’injustices criantes et de conflits armés dans notre pays  qu’il serait irresponsable, régressif, absurde et déraisonnable  d’y replonger à nouveau le pays en revenant sur l’acquis constitutionnel d’égalité et de non-discrimination entre les congolais. On comprend aisément  les mises en garde de l’ONU face aux risques du discours sur la congolité …

Il se comprend sans peine que la loi Tshiani contrarie la constitution d’où il ressort qu’aucun Congolais ne peut, en matière  d’accès aux fonctions publiques , comme dans bien d’autres, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison notamment de son origine familiale (père ou mère) … Les principes d’égalité et de non discrimination constituent la pierre angulaire de tous les droits et libertés garantis par la constitution.

La loi dites Tshiani ne peut prospérer.

L’Assemblée ne pourra jamais la déclarer recevable ni l’adopter car elle est inconstitutionnelle. La constitution est la mère des lois, la loi fondamentale qui traduit les valeurs fondamentales de la nation,  toute proposition de loi qui lui est contraire doit être rejetée.  C’est le seul sort que mérite la loi Tshiani.

Et si par impossible elle venait à être adoptée, elle aura pour effet la modification de la constitution (ce qui est une démarche absurde, car en effet,  c’est en principe la loi qui doit être modifiée pour se conformer à la constitution et non l’inverse).  Or l’article 220 de la constitution interdit « formellement toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne, […] ». D’évidence la loi Tshiani réduit le droit des citoyens de participer à la direction des affaires publiques du pays et leur droit de jouir sans discrimination des droits et libertés garantis par la constitution.  Donc la loi Tshiani est une absurdité constitutionnelle. Aucune disposition de la constitution ne sera possible pour lui donner effet en vertu de l’article 220 al2 aux termes duquel les droits et libertés des citoyens sont verrouillés, voire intransgressibles.

L’article 220 de la constitution ne cessera jamais de décevoir les élans anti-démocratiques :

« La forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du Pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle.Est formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne, ou de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées. » (c’est nous qui soulignons)

La loi Tshiani est inadapté au regard du contexte géopolitique de la RDC

La RDC est entourée de huit pays voisins. Dans les provinces frontalières il s’est développé à coup sûr des mariages mixtes que l’adoption de la loi Tshiani risquerait d’exposer les compatriotes concernées par ces relations matrimoniales internationales et leur progéniture au risque d’être des citoyens de seconde zone…

Bien plus, depuis l’indépendance, les régimes autocratiques  ou non démocratiques qui se sont succédé en RDC  ont poussé beaucoup de compatriotes dont d’éminents militants de la démocratie et des droits de l’homme,  à l’exil. Dans les pays d’accueil nombreux se sont intégrés voire naturalisés ou épousé des étrangers. Les réduire pour autant au rang de citoyens de seconde zone (qui ne peuvent aspirer à certaines hautes fonctions) est une ingratitude face aux sacrifices qu’ils ont consenti pour la démocratisation de notre pays, voire une double peine.

Force est de souligner que le Parti au pouvoir est le terroir de ces militants de la démocratie qui ont fui le pays et se sont intégrés à l’étranger (avec des mariages mixtes bien souvent) qu’il serait absurde et déraisonnable que ce parti cautionne de telles discriminations… A coup sûr, on peut espérer que l’UDPS et ses alliés seront les premiers à s’opposer à la loi Tshiani qui contrarie les valeurs d’égalité et de non-discrimination au cœur de notre constitution et que prônaient Etienne Tshisekedi..

Enfin, cette loi fera sûrement le lit des discours discriminatoires et xénophobes des années 70, 80 et 90 avec le risque de compromettre la cohésion nationale et l’unité du pays retrouvées.

Qui est le professeur Cifende?

Moïse Cifende Kaciko est professeur de Droit international aux universités Catholique et Officielle de Bukavu. Il est  Chef de département juridique auprès de la Communauté Économique des Pays des Grands Lacs, CEPGL.

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