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RDC : Affaire Bukanga Lonzo, du point de vue juridique, le juge a bien dit le droit. Mais, est-ce une page complétement tournée pour Matata Ponyo ? (lire l’analyse du professeur en Droit Arnold Nyaluma)

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La cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour connaitre de l’affaire Bukanga Lonzo. Cette juridiction l’a fait savoir le 15 novembre 2021 dans son prononcé sur cette affaire. Elle motive sa décision en montrant que Matata Ponyo est un ancien premier ministre, or elle n’est compétente que pour juger le premier ministre ou le président en fonction. Avec cet arrêt, d’aucun se demande si plus rien ne sera fait pour que la vérité soit connue sur l’affaire Bukanga Lonzo.

Dans un entretien avec deboutrdc.net, le professeur de Droit à l’Université Catholique de Bukavu, Arnold Nyaluma renseigne que le fait pour la cour constitutionnelle de se déclarer incompétente dans l’affaire Bukanga Lonzo ne peut en aucun cas pousser à dire que la cour est incapable, mais la loi elle-même est à la base de cette position de la cour. Il estime que si l’on respecte les procédures juridiques, il y a lieu de ramener Matata Ponyo à la barre pour que ce dernier puisse répondre de ses actes dans une autre juridiction qui a des compétences de juger de cette affaire, mais pas à la cour constitutionnelle comme c’était le cas.

Toutefois, il note également qu’au regard des pesanteurs politiques, cela demande aussi un courage exceptionnel pour des nouvelles procédures judiciaires, sinon tout risque de se terminer par-là, quand-bien même cela ne signifierait pas que les faits pour lesquels il était poursuivi sont complétement faux. Au regard des attentes que les congolais avaient de la ferme agro-industrielle Bukanga Lonzo, des millions de dollars qui ont été déboursés mais dont on ne voit rien présentement sur le terrain, même un citoyen moyen aimerait savoir qu’est-ce qui s’est réellement passé pour que ce macro-projet échoue au moment où tous les fonds nécessaires ont été déboursés et ne sont jamais remboursés dans le trésor public.

Deboutrdc.net : Bonjour Professeur Arnold Nyaluma,

Professeur Arnold Nyaluma : Bonjour chère journaliste.

Deboutrdc.net : Professeur Arnold Nyaluma, vous êtes avocat au barreau du Sud-Kivu, Conseil à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Conseil-assistant à la Cour Pénale Internationale et enseignant de droit à l’Université Catholique de Bukavu. Entant que spécialiste des questions juridiques, nous aimerions avoir votre analyse juridique quant à l’arrêt rendu par la cour constitutionnelle le 15 novembre 2021, celle-ci se déclarant incompétente de connaître de l’affaire Bukanga Lonzo dans laquelle était poursuivi l’ancien premier ministre congolais Matata Ponyo, au motif que celui-ci n’est plus en fonction. Est-ce qu’à ce stade il y a une autre procédure qui peut être engagée à son encontre ou bien les congolais peuvent noter que cette affaire est close ?

Professeur Arnold Nyaluma : Madame, vous verrez que lorsque la cour se déclare incompétente ce n’est pas qu’elle est inapte ou que les juges ne sont pas suffisamment formés. C’est simplement parce que la loi n’aura pas attribué à la cour le droit de juger ou de connaitre de ces affaires-là. Dans le cas en examen, il est prévu que la cour constitutionnelle juge les infractions commises par le président de la république et le premier ministre dans l’exercice de leur fonction, c’est-à-dire le premier ministre et le président en exercice. Et là, il y a toute une procédure pour arriver à la mise en accusation.

Dans le cas d’espèce, Matata Ponyo n’était plus premier ministre et il était difficile pour la cour de se déclarer à ce moment-là compétente puisqu’elle n’est pas compétente pour les ex-premiers ministres et c’est pour autant dire qu’il n’y a pas une procédure applicable à ce moment-là parce qu’il n’y a plus des autorisations et/ou des poursuites à prendre.

Du point de vue de la procédure, nous pouvons dire que le juge a bien dit le droit. Alors sur le plan juridique, puisqu’il faut le noter, c’est la première affaire où la cour constitutionnelle se prononce en matière pénale. Ceci nous permet aussi de savoir quel est finalement le contenu de cette compétence pénale. A l’heure actuelle il n’y en a plus ; la cour nous a montré que personne ne sera jugé devant elle en matière pénale car si l’on ne peut juger le président de la république ou le premier ministre en fonction, nous sommes quand même en République Démocratique du Congo et je ne vois pas quel juge, quel parlement va autoriser la poursuite, quel procureur va avoir même en tête l’idée de solliciter l’autorisation.

Et donc, là au lieu de rendre quasiment inopérante une partie des dispositions de la constitution, c’est une manière en fait de protéger à l’infini le président de la République et le premier ministre avec comme conséquences que tout ce qu’ils auront commis comme infractions pendant l’exercice de leurs fonctions sera en dehors de toutes poursuites.

Cependant il faut savoir que la compétence étant d’attribution, la haute cour ne peut pas transférer l’affaire. Il appartient au procureur qui a initié la cause éventuellement de tenter d’autres pistes. Or, le procureur qui a initié la cause, c’est le procureur près la cour constitutionnelle, lui-même ses compétences sont suffisamment limitées. Sur le plan du droit, nous sommes en présence d’une impasse, l’histoire risque de s’arrêter là et cela ne signifie pas que les faits sont nécessairement faux.

Est-ce possible de recourir à la cour de cassation comme juridiction qui devra finalement connaître de son affaire entant que sénateur élu et en fonction ?

Les congolais étant capables de tout, il faut d’abord voir qui devra saisir la cour de cassation puisque pour le moment la procédure revient à plat. Il faudra alors revenir encore devant le sénat solliciter une deuxième levée des immunités et puis ce sera une deuxième affaire. Est-ce que vous voyez les sénateurs commettre l’erreur deux fois ? Et même ceux qui avaient levé les immunités notamment le président du Sénat qui avait autorisé cette démarche, il va se sentir un peu inquiet vu que sa démarche aura été court-circuitée.

Sinon, si l’on reprend l’instruction ce ne sera plus le procureur près la cour de cassation car si celui-ci prend l’initiative de s’approprier les données qui étaient disponibles au parquet près la cour constitutionnelle et qu’il décide de saisir la cour de cassation. Je ne vous dirai pas non plus d’emblée que la cour de cassation sera compétente. Il n’est pas exclu que là aussi on trouve d’autres astuces de nature procédurale. C’est qui est sûr entre aujourd’hui et les élections de 2023, Matata Ponyo sera en liberté.

Nous savons souvent que certains pays saisissent les juridictions internationales si la loi nationale reste muette pour certaines questions et/ou si l’on a épuisé les instances nationales ou encore lorsqu’il y a des contraintes qui ne permettent pas la bonne évolution de la procédure au niveau national. Si la RDC n’est pas satisfaite de cette sentence rendue par la cour constitutionnelle sur exception des parties prévenues,  peut-elle saisir les mécanismes internationaux ou bien interjeter appel pour s’opposer à cet arrêt de la cour ?

On peut imaginer qu’il n’y a pas appel lorsqu’on a épuisé les voix de recours interne ou lorsque les voix de recours interne sont inefficaces ou inutiles parce que ne pouvant pas apporter des réponses. En ce moment-là on peut saisir les juridictions ou les organes quasi-juridictionnels au niveau international. Dans le cas d’espèce, on est en train d’entrevoir qu’aucune juridiction ne sera compétente pour se saisir des faits liés à la gestion de Bukanga Lonzo. La RDC ne peut pas utiliser les mécanismes internationaux car ces derniers sont utilisés par les individus et pas par les Etats.

Si dans l’affaire Bukanga Lonzo il y avait des citoyens congolais ou étrangers lésés, ceux-là n’étant pas satisfaits par la justice nationale pourraient éventuellement saisir la justice internationale. La seule hypothèse où l’Etat peut agir devant les instances internationales c’est au nom et pour le compte de ses ressortissants.

La RDC qui est un ensemble avec sa propre justice ne peut pas aller devant les instances internationales pour s’accuser elle-même. Lorsqu’on va devant les instances internationales, c’est le pays qu’on accuse et dans le cas d’espèce, c’est le ministère public au nom de l’Etat congolais qui a initié l’action et/ou la cour constitutionnelle au nom de l’Etat congolais qui se déclare incompétente, ce qui veut dire que les voix internationales ne sont pas envisageables.

Professeur, est-ce que vous pensez que ce prononcé a une conséquence sur le plan politique vu que depuis un certain temps, les gens de l’Est accusaient déjà à tort ou à raison la justice congolaise d’être à la solde des Kasaiens et pensaient que celle-ci voulait s’en prendre plus à ses filles et fils en référence à Vital Kamerhe dans le procès 100 jours, le PDG de TRABEMCO et aujourd’hui Matata Ponyo?  

Du point de vue politique, il y a une autre lecture. La politique qui se faisait voir depuis un certain temps, c’est-à-dire la liquidation des potentiels candidats à la présidence ou des potentiels concurrents politiques à travers le procès comme pour le cas de Vital Kamerhe, on sent qu’il y a un recul. On peut donc dire sans peur d’être contredit que le lobby de Matata Ponyo est fort. C’est pourquoi d’abord durant la procédure on a tenté mais en vain de le mettre en détention, voire l’empêcher de voyager et on sent qu’il est encore fort. Et cette situation peut réconforter non seulement le FCC, mais aussi beaucoup d’autres forces politiques comme celle de Moise Katumbi ou de Jean Pierre Bemba qui pouvaient déjà craindre cette liquidation judiciaire.

On peut alors regretter que la même réflexion n’ait pas été développée dans le procès Kamerhe puisqu’on doit se rappeler qu’au moment où il a été arrêté, il était directeur de cabinet du chef de l’Etat. Dans ce cas, l’ordonnance qui organise le cabinet du chef de l’Etat subordonne la poursuite à une autorisation expresse du président de la république. Ce qui n’a jamais été le cas mais en tout cas son rang de directeur de cabinet lui donnait des privilèges de poursuite. Malheureusement, je crois que l’environnement et le contexte politique de l’époque n’est pas le même qu’aujourd’hui. Ici c’est une sorte d’équilibre des forces.

Cependant, le point commun est qu’on parle de la passation des marchés publics et le détournement des deniers publics. On est en présence des infractions de même nature mais vous allez constater que dans le cas de Vital Kamerhe, l’Etat congolais s’est constitué partie civile considérant que ses intérêts étaient lésés. Ici, on n’a pas senti l’Etat congolais agir ; et donc, l’action est restée quasiment entre les mains du ministère public. Le message à ce niveau c’est que l’on n’a pas voulu s’acharner trop sur Matata Ponyo comparativement à Vital Kamerhe.

Mais aussi il y a une justice à deux vitesses. Pour les uns on est allé de la manière la plus forte possible différemment du procès 100 jours vu la peine infligée à Vital Kamerhe, celle imposée à Jamal et celle imposée aux différents patrons des sociétés qui étaient impliquées dans l’affaire. Ce qui pousse donc à croire qu’il y avait un acharnement particulier contre Vital Kamerhe. S’il faut espérer que cette ouverture va profiter à Vital Kamerhe, c’est faux, parce que la cour constitutionnelle a eu à se prononcer à un moment donné et on n’a pas senti la volonté de pouvoir le laisser en liberté.

Donc il y a un message politique clair. Les détenteurs du pouvoir politique forts peuvent espérer ne pas subir la liquidation judiciaire, mais cela ne signifie pas nécessairement que ceux qui sont déjà condamnés pourraient se prévaloir aussi de cet esprit ou de ce vent judiciaire qui s’annonce.

Deboutrdc.net : Grand merci professeur pour cet entretien !

Professeur Arnold Nyaluma : C’est moi qui vous remercie madame la journaliste.

Hortense Zabona.

 

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